FERN SILVA
THE WATCHMEN
En ligne du 29 novembre au 29 décembre
Gautier Lemelin
Tout fut rompu au seuil de l’histoire.
Tout fut rompu au seuil de l’histoire. Soudain, le corps existait, se tenait à l’extérieur, sans visage. Nu, il portait le monde entre ses mains comme malgré lui. Persistaient encore quelques traces du vent. Le geste allait laisser place au mot et jamais rien ne serait consolé. Peut-être cette séparation est-elle advenue plus tôt, à l’aune de cette pulsation qui retentit comme pour alerter ceux et celles qui dorment au pied de l’incendie. Les choses font état d’une rupture prenant la forme d’un détour. Nous avons tous et toutes traversé ce labyrinthe. Ce carrefour est l’inquiétude même et c’est l’indice d’une ruine qui nous est donnée en spectacle. Les os à venir où s’épuise l’échec de la restitution de cette unité toujours déjà perdue.
The Watchmen n’est plus celui qui surveille, mais celui qui déterre et qui contemple. Celui qui trouve un objet inconnu et s’en effraie. C’est le magicien des sables qui restitue au regard le désert par lequel règne plus que jamais la discontinuité. Que reste-t-il d’humanité chez celui qui surveille pour toute fin, à plus forte raison chez celui qui exhume et contemple cet objet apatride? Un souffle contenu dans le vague souvenir du feu; un corps. Cette sentinelle scrute la lente et violente galvanisation du vécu. Pour déposséder la solitude de ses moyens, il lui faut parler une langue inédite, celle qui permet de s’élever et d’abolir la réflexivité. Une parole qui célèbre le silence, qui se meut par interstice. Ni son regard ni cette parole n’ont le pouvoir d’affranchir ou de reconstruire l’objet désolé de sa contemplation. The Watchmen hérite plutôt d’une question. Il veille à ce que quelque chose subsiste. En cela tient sa responsabilité.
Là-bas, les trains et les voitures tracent à vide comme pour arriver au bout de ce monde qu’ils voudraient pouvoir fuir. Or ils circulent, s’enfoncent en spirale. Il n’est pas question de s’échapper. Dehors, le visible laisse place à l’invisible et à ce qui le traverse. Dans une circularité figée, les artefacts martèlent leur froide souveraineté. Ce qui guette maintenant ceux et celles qui, rassemblés en un point d’intensité, ne peuvent se résigner à abandonner la poursuite du but : la mort de l’horizon sur lequel rien ne se couche plus. En dehors de tout, ces corps et ces voix balbutient et s’effleurent dans l’obscurité complète où persistent des lueurs d’adoration. Suivant quelque vibration, la rencontre est menacée à chaque instant. Une rumeur fragile, qu’une moindre parole peut rompre, glisse en surface : la conspiration des corps stratégiques et la présence animale. Que peut un corps pour lui-même, pour les autres, pour le monde? Ceux et celles qui restent sans réponse enterrent les souvenirs d’un espace habité.
L’horizon bascule et frappe la voûte. Dans ces carrefours souterrains, sans issue, règne une panique sans objet. Rien n’indique s’il faut fuir vers l’avant ou rebrousser chemin. Nul ne sait s’il faut hurler ou frémir. La chaleur extrême se confond au froid polaire. Les corps sont statuaires, figures ultimes du dépeuplement. Certains se rappellent que la surface du visage s’est substituée à celle de l’écran. Les lames lumineuses de cette carbonisation électrique déchirent le tissu adipeux. La mort sensorielle a finalement eu raison du regard. D’ailleurs, personne ne regarde plus l’écran. C’est au contraire l’écran qui regarde, triomphant. L’état d’amnésie est tel que presque plus personne n’est en mesure de se demander : qu’ai-je perdu?
The Watchmen entend cet appel. Il ne le reconnait pas, ne peut le décoder. Les haut-parleurs crachent, en guise de bâton de vieillesse, quelques prières païennes. Elles semblent vouloir dire : nous sommes épuisés par l’attente, nous errons et aucun mot ne peut nous sauver. Ces prières n’invitent aucun écho. Encore subsiste le souffle, le vent. Le foin gercé est en deuil, mais les vagues livreront à nouveau au rivage ce qui fut précédemment jeté à perte. Ainsi, peut-être, tout recommencera.
Everything was smashed on the threshold of an era. All of a sudden, the body existed, standing outside itself, faceless. Nude, he held the world in his hands as if despite himself. A few vestiges of wind lingered. Gesture would give way to words, no consolation to be found ever again. Such separation may have come about earlier, in the wake of a pulsation that attempted over and over to alert those slumbering beside the inferno. Things started to show signs of rupture. All of us have traversed this labyrinth, men and women alike. This crossroads is anxiety itself, an index of a ruin that is given to us as a spectacle. The bones to come are laid where the failure of unity’s restoration is always already lost.
The Watchmen is no longer the one who watches, but rather the one who unearths and contemplates – the one who uncovers an unknown artefact and is frightened by it. It’s the desert conjurer who restores to sight a sandy expanse where discontinuity reigns more than ever. What shred of humanity is left in the person who enacts surveillance for any reason, or in the person who contemplates the uprooted artefact? A ceaseless current of air vaguely recalling fire – or a body. They are a sentinel scoping out the slow and violent galvanization of lived experience. In order to disempower and dispossess solitude, one must speak a new language that allows one to rise up and abolish reflexivity. The watcher is an idiom that celebrates silence, that moves in between spaces. Neither its gaze nor such an idiom has the power to emancipate nor reconstruct the desolate object of its contemplation. The Watchmen is hence the heir to inquiry. They oversee the subsistence of something. Therein lies their responsibility.
Over there, trains and cars roam hollow as if seeking the end of the world from they wish to flee. But instead, they go in circles, spiralling downwards. It’s not about escaping. Outside, the visible makes way for the invisible and for whatever passes through it. Stuck going around in circles, these artefacts hammer away their frozen autonomy. What now lies in wait for those who, gathered at a point of impact, cannot resign themselves to abandoning the pursuit of their goal: the death of a horizon on which nothing will ever set again. Besides all this, bodies and voices stammer and brush up against a total darkness where adoration glimmers on. Ripples of a vibration infringe threateningly on this encounter. A fragile rumour, interruptible by the slightest utterance, skims the surface; then, a conspiracy of scheming bodies and an animal presence. What can a body do for itself, for others, for the world? The ones who remain unanswered bury memories in an inhabited space.
The horizon shifts and scrapes the firmament. In unescapable underground crossroads a diffuse panic reigns. Nothing tells you if you should venture further or circle back. No way to know if one should shout or shudder. Extreme heat mashed up with a polar chill. Bodies become statues, the remnants of depopulation. Some of them may recall that the contours of faces have been replaced by those of the screen. A shard of light from this electric char slices through fatty tissue. Sensory depletion vs. the gaze, the former wins out. Then again, no one looks at the screen anymore; rather, it is the screen whose triumphant gaze stares back. The state of amnesia is such that no one can ever ask themselves, “What have I lost?”
The Watchmen heeds this call. It cannot be recognized nor can it be decoded. Old speakers blast strains of pagan prayers, as if to say, “We are exhausted from waiting; we are wandering and there are no words to save us.” The sound of their prayers is left unanswered, only gasps, only wind. Hay left to dry is in mourning, waves carry back to shore the jetsom of yore. And so, perhaps, it will all start over.
Translation from original French by Jordan Arsenault.
FERN SILVA
The Watchmen
En ligne du 29 novembre au 29 décembre
2017 | 16mm to digital | 10 mins
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