“A singular, cinematic experience even in the realm of abstract experimental cinema, Isiah Medina’s 88:88 is a incendiary collage of image and sound which confronts poverty and social injustice.” – Rowe Reviews
Isiah Medina est un artiste de Winnipeg, Manitoba, dont les films portent tout en poésie sur la politique du quotidien. La pratique de Medina s’inscrit dans la tradition godardienne : par la médiation d’images et de modes de communications, il définit son espace comme engagé et politique. Ses films intimes documentent ses relations avec ses amis et sa famille, tout en abordant les questions de la violence, de l’amour, de la camaraderie et du jeu. Ils explorent les relations entre les classes sociales, la poésie, la philosophie et le cinéma tout en développant une forme cinématographique singulière en lien avec la pensée.
ISIAH MEDINA
«Isiah Medina est un artiste de Winnipeg, Manitoba, dont les films portent tout en poésie sur la politique du quotidien. La pratique de Medina s’inscrit dans la tradition godardienne : par la médiation d’images et de modes de communications, il définit son espace comme engagé et politique. Ses films intimes documentent ses relations avec ses amis et sa famille, tout en abordant les questions de la violence, de l’amour, de la camaraderie et du jeu. Ils explorent les relations entre les classes sociales, la poésie, la philosophie et le cinéma tout en développant une forme cinématographique singulière en lien avec la pensée. Medina s’engage aussi dans la création d’une nouvelle forme radicale de remix qui se constitue par une pratique de remontage continu de ses propres captations et par la création d’un collage sonore subtil qui est le fruit d’un mélange de sons diégétiques, de poésie, de rap et de musique classique.» – [Clint Enns, BackFlash]
“Isiah Medina is a moving image artist from Winnipeg, Manitoba, whose movies poetically address the politics of everyday life. Medina defines his place within a Godardian tradition by engaging politically with mediated images and communication. His diaristic movies document his relationships with friends and family and address issues of violence, love, camaraderie, and play. At the same time, they explore the relationship between class, poetry, philosophy, and cinema while expanding cinematic form and its connection to thought. Medina also engages in a radical new form of re-mix through the continual re-editing of his own previously shot material and through the creation of subtle audio collages that effectively blend diegetic sound with poetry, rap, and classical music.” – [Clint Enns, BackFlash]
88:88
2015 | HD | colour | sound | 65 min
«Méditation personnelle sur la famille, l’amitié, la pauvreté et le cinéma, le film s’inspire du théoricien et activiste politique français Alain Badiou. Medina documente la vie de ses amis vivant dans un quartier à faible revenu de Winnipeg, entremêlant techniques d’avant-garde, expérimentations visuelles et sonores et moments d’émotivités brutes.
88:88, –:–. C’est ce qui apparaît sur les appareils électroniques lorsque le courant revient après que les factures aient finalement été payées.» – [Tënk]
“Personal meditation on family, friendship, poverty and the cinema, the film takes inspiration from the French political activist and theorist Alain Badiou. Medina documents the life of his friends living in a low-income neighbourhood in Winnipeg, intertwining avant-garde cinematic and sonic techniques with brute emotional moments.
88:88, –:–. It’s the flashing symbol that appears on the electronic devices when the power finally comes back after paying the electrical bills.” – [Tënk]
88:88: « CASH RULES EVERYTHING AROUND ME »
[par Ariel Esteban Cayer]
Premier long métrage du jeune réalisateur canadien Isiah Medina, 88:88 s’impose comme un hybride inespéré entre le « mixtape » musical et le traité philosophique. À mi-chemin entre le documentaire et la fiction, il s’agit d’un film d’autant plus singulier qu’il ne semble obéir à aucune règle préexistante. Faisant suite à plusieurs courts métrages, dont Semi-Auto Colours (2010), le film se place dès son premier plan sous l’égide des frères Lumière, puis évolue selon une logique interne si inusitée et si rigoureuse qu’il s’en dégage immédiatement un sentiment d’inédit.
Pour ainsi dire, le film ne se contente pas de capter le « réel » à renfort de moyens numériques. Medina y avance plutôt le potentiel d’un nouvel agencement asynchrone d’images et de sons, de tous formats, sources et résolutions confondues. Ces éléments cohabitent ici sous le seul joug non pas du capital – le besoin de rentabiliser un film – ou encore d’une logique de narration traditionnelle, mais bien sous le signe à la fois libérateur et oppressant du manque de moyens. La soustraction devient la principale logique structurante du film : le montage étant, au-delà de tout impératif visuel, le procédé que Medina cherche à réinventer, d’une habile coupe à l’autre.
« There’s nothing left to see except suspension », nous dévoile une première voix désincarnée. Medina nous annonce explorer « l’entre-deux » : le vertige d’une coupe qui tranche le flot ininterrompu de l’univers. 88:88 réactive ainsi le potentiel d’atomes primordiaux au cinéma – de l’agencement d’une image à une autre, de l’appliqué d’un son à une image ; la base – comme Godard nous priait de dire adieu au langage pour mieux réinventer l’image. Mais contrairement à celui-ci, la forme relève immédiatement de l’intime comme du politique : soit, de l’expérience vécue, de la réalité sociale propre au cinéaste naissant et à son entourage, filmé pour l’occasion.
D’une juxtaposition à l’autre, Medina reflète la fureur avec laquelle le capital circule et structure nos vies. Un jeune adulte collectionne les chaussures, mais ne peut payer son loyer; un couple d’étudiants vit à même le sol d’un appartement à peine meublé; un proche se retrouve bientôt en prison, victime de la pression environnante ; une panne d’électricité redémarre l’horloge, qui affiche alors 00:00 (ou plutôt 88:88). Le vertige du découpage effréné relève ici directement de la réalité urbaine que le cinéaste dépeint, jusqu’à basculer en fin de parcours dans l’abstraction pure du trading haute fréquence des milieux financiers, tel une sorte de Brakhage virtuel juxtaposant le l’intime désœuvrement des uns aux systèmes lucratifs des autres.
88:88 contourne également la logique capitaliste inhérente à la captation elle-même, inscrivant son ontologie visuelle dans une logique non-narrative démocratique, très proche de celle du hip-hop (où se côtoient iPhones, iPads et caméras plus ou moins coûteuses et, surtout, disponibles). Traitant de pauvreté comme d’un flottement existentiel encouru par l’interruption de capital permettant à tout un chacun « d’être » en ce bas monde, 88:88 remplace la table tournante et l’échantillonneur par le logiciel de montage. Sans argent, la captation demeure aujourd’hui non seulement possible, elle s’avère être une évidence, une habitude. L’image devient ici une unité malléable, infiniment (re)combinable, dont la potentielle valeur marchande est détournée pour devenir mélodie pure. La parole y est finalement superposée, comme le ferait un MC et si le producteur (le beatmaker) contourne les droits d’auteurs en hachurant les morceaux d’autrui – d’un vinyle ou d’un fichier à l’autre – Medina construit ici sa piste du bassin d’images qui l’entourent. Autant de sonorités et de textures distinctes, empilées de manière à créer un sens, un rythme, un flot, puis, pour emprunter plus définitivement au hip-hop, un flow sublimant un espace social autrement régi par l’argent, en une succession de passages poétiques et lucides.
Cela dit, il ne faudrait pas passer sous silence la puissante charge émotive que véhicule le montage virtuose de Medina. Si 88:88 se veut une interrogation philosophique sur le flottement qu’engendre la pauvreté (et sur le potentiel qu’à l’image de sublimer le quotidien), les forces qui sous-tendent l’univers du cinéaste sont nécessairement celles de l’amitié. 88:88 devient très vite le drame prenant d’une série d’unions rompues par la précarité. L’antidote à ce malaise se trouve alors dans ces plans emplis d’amour que Medina réserve à ses proches : autant d’élan, de brio, juxtaposant par exemple le visage ensoleillé d’une femme à la cime d’un arbre hyper-saturée. Une logique émotionnelle sans faille s’empare donc très vite de l’œuvre, s’alliant à merveille à sa forme politique et poétique, pour finalement culminer sur un puissant et pertinent leitmotiv :
« There’s no justice, just us ».
Note : Une première version de ce texte a été publiée dans le no. 176 de la revue 24 Images, ainsi qu’en ligne, le 20 mars 2016. Il est republié sur Tënk dans une version largement modifiée.